Des souris et des hommes : émotions brutes
Avez-vous lu Des Souris et des Hommes ? Le livre de John Steinbeck est un classique parmi les classiques. Je ne l’ai découvert que très récemment (Booouh, inculte, t’as qu’à arrêter de lire des trucs japonais) et je dois l’avouer dès à présent : c’est l’une des meilleurs choses que j’ai jamais lue. Voilà, je vous spoile direct la conclu comme ça vous ne perdez pas de temps à lire ma prose et vous allez plutôt lire celle de Steinbeck.
Quoi, vous êtes encore là ? Bon, et bien allons y pour l’article alors.
Une représentation des deux protagonistes
« The best laid schemes o’mice an’men gang aft a-gley »
C’est ce vers de Robert Burns (un poète écossais) qui a inspiré le livre. Que veut-il dire en bon françois ? Ceci : « Les plans les mieux conçus des souris et des hommes souvent ne se réalisent pas ». Et de quels plans le livre parle-t-il ?
De ceux de ses deux personnages principaux, Lennie et George. Ce sont des amis d’enfance qui œuvrent en tant que saisonniers de ranch en ranch. Leur fameux plan, c’est de se faire assez d’argent pour s’acheter une petite ferme et de s’en occuper, tranquilles pépères. George a déjà une piste pour acheter une exploitation, il est déterminé. Et puis… il y a Lennie. Un géant simplet (voire handicapé) doté d’une force titanesque qu’il ne peut contrôler. Il aime les petits animaux mignons, comme les souris ou les lapins, mais finit toujours par les tuer en les caressant. Inutile de dire que ça a déjà causé certains problèmes dans les ranchs où ils sont passés et que George en a un peu soupé, des fois quand même. Seulement voilà, ce grand nigaud est son ami et il a promis de s’en occuper. Voilà pour le pitch.
Si jamais vous comptez lire le livre (je vous le conseille), une chose va vous marquer. Et si vous l’avez lu (c’est bien), une chose vous a certainement marqué : il est très court. 150 pages à peine. Mais je pense que l’adage « la taille ne compte pas » n’a jamais été aussi vrai, en ce qui concerne la littérature en tout cas (pour ce qui est de mon organe, le débat est reporté) : il y a dans ces 150 pages beaucoup plus d’émotion que dans 95% des livres qui ont croisé la route de mes yeux (*Statistiques réalisées par l’organisme Presse Étudiante de Nantes et son Institut de Sondage). Je sais, ça fait un peu redite avec mon intro mais je veux que vous captiez bien l’idée. Comment donc cette diablerie est-elle possible ?
L’art de tout dire en ne disant rien
L’édition de Des Souris et des Hommes que je possède s’ouvre sur une préface de Joseph Kessel, un académicien. Je l’ai lue après avoir lu l’œuvre en elle-même et je dois avouer qu’elle m’a touché par sa justesse. Ce qu’observe monsieur Kessel, c’est que (apparemment comme pas mal d’auteurs étazuniens) Steinbeck ne décrit pas l’attitude de ses personnages ni leur démarche intérieure. Mais, par leurs actions, leurs dialogues, il leur donne bien plus de fond que s’il l’avait fait. C’est ce qui rend le livre génial : malgré un langage grossier et une rusticité évidente, on découvre la personnalité de ces gens avec une grande délicatesse. Pas la peine de nous dire « George est comme ça, Slim est comme ci, Curley se comporte de telle manière », on se contente de s’en rendre compte en lisant ce qui se passe. On fait la connaissance de vraies bonnes gueules en même temps que l’on suit George et Lennie, de bonnes grosses raclures aussi. Chacun ici a son histoire, ses rêves, qu’on nous expose dans ces nombreux dialogues simples mais authentiques. Le talent quoi.
Il y a eu plusieurs adaptations du livre. Dans celle-ci, on retrouve John Malkovich et Gary Sinise
La construction du récit est classique et efficace. Mais impossible pourtant de prévoir la magistrale baffe qui va vous arriver dans la poire à la fin du livre. Quelques pressentiments, peut-être, tout au plus. Les deux héros se démènent pour construire leur projet, ils vivent leur vie, travaillent, prennent forme sous nos yeux en même temps que les autres. Et puis paf : un énorme élément perturbateur et la fin approche, de plus en plus inéluctable, prenante et poignante. Je n’en parlerai pas plus, car elle tient du pur génie. Elle m’a d’ailleurs arraché quelques larmes, fait assez rare pour être souligné en ce qui concerne les livres. Probablement parce que les personnages de Des Souris et des Hommes sont parmi les plus authentiques jamais construits. Rah cette fin ! Encore une raison, s’il en fallait une de plus, de vous jeter sur Des Souris et des Hommes si vous ne l’avez pas encore lu.
L’Amérique profonde, ce n’est pas vraiment le genre d’univers qui m’attire, loin de là. En vérité, c’est une superbe critique de l’un de mes éclaireurs sur le site senscritique qui m’a poussé à lire ce bouquin. Je crois que je ne pourrai jamais assez remercier cette personne. A mon tour maintenant d’essayer de vous convaincre : Steinbeck a réussi a insuffler à ses saisonniers bien « Amérique profonde » une humanité comme rarement j’en ai croisées dans un livre, avec une simplicité bluffante. De la grande littérature, tout bonnement.