Shoninki, un livre écrit par un ninja, pour les ninjas
Et oui, mes petits loulous ! Aujourd’hui, je vous parle d’un livre qui me tient très à cœur et qui est un must-have pour toute personne qui s’intéresse à la culture ninja : le Shoninki. Le mot n’est peut-être pas étranger à ceux qui ont regardé ma première émission du dojo de maître Jean-Jacques (pour les curieux, c’est ==>par ici<== et c’est à 3:30) mais c’est tout naturel que je l’évoque, après tout c’est un document de référence. Alors attachez vos ceintures de kimono, c’est parti pour une excursion dans le monde obscur mais fascinant des shinobis.
La couverture de l’ouvrage. Je n’ai rien d’autre à dire de plus, pour une fois, donc faudra vous contenter de ça. Désolé.
Qui qui a écrit le shôninki ?
Avant de parler de l’ouvrage en lui-même, parlons un peu de ce qui l’entoure. « L’authentique manuel des ninja » est un sous-titre un peu faux, puisqu’il ne concerne que l’école Kishu-ryû, dont le maître n’était autre que ce fameux Natori Masazumi. A l’époque de la rédaction du Shoninki, soit en 1681, les écoles de ninjutsu entretenaient une farouche rivalité entre elles, tout comme les différents dojos de sabre voire même la plupart des courants d’arts martiaux. Les enseignements se transmettaient traditionnellement à l’oral, et servaient même parfois de « carte d’identité » aux disciples, ils permettaient par exemple à un shinobi de valider son identité auprès d’un autre en récitant certains préceptes propres à son école. Les enseignements Kishu-ryû sont retranscrits en partie dans le Shoninki : tout comme le légendaire samouraï Miyamoto Musashi et son Traité des Cinq Roues, Natori Masazumi a décidé de coucher sur papier les savoirs et la philosophie de son école.
La première phrase de l’introduction, par le traducteur Axel Mazuer, décrit les shinobis comme tels : « les ninjas étaient, dans le Japon féodal, des agents employés pour des missions d’espionnage, d’infiltration et de guérilla ». Ils étaient donc différents des samouraïs, qui représentaient la noblesse guerrière un peu à la manière des chevaliers de chez nous. Là où ces derniers passaient le plus clair de leurs apprentissages dans des dojos à maîtriser tous plein d’arts martiaux qui finissent par « jutsu », les shinobis multipliaient les savoirs dans le repérage, le déguisement, la botanique, la confection d’outils, la maîtrise de tours de passe-passe, quelques trucs ésotériques, j’en passe et des meilleurs.
Vous vous souvenez d’eux ? Et oui, ce sont les komusôs ! Le Shoninki les mentionne comme déguisement possible pour se préparer aux activités clandestines.
Des rouleaux sur lesquels on ne bave pas
Laissons de coté les différentes introductions et préfaces (toutes intéressantes à lire ceci dit, pour bien nous remettre dans le contexte du livre) pour nous concentrer sur le Shoninki même.
Trois petits chapitres ouvrent le tout : le premier, l’authentique tradition ninja de notre école (tôryû shoninki), nous brosse un rapide topo de l’utilisation des shinobis dans l’histoire du Japon ainsi que de la tradition de solidarité entre membres d’une même école qui s’est transmise depuis lors. Le deuxième, les différents types d’espions (shinobi no tsuwamono no shina), a un titre assez parlant puisqu’il décrit les différentes missions d’espionnage pour lesquelles on peut engager un shinobi. Ce qui est diablement intéressant par contre, c’est la référence directe à l’Art de la Guerre de Sun Tzu, confirmant ainsi que les écoles ninjas s’étaient inspirées de savoirs chinois, et ce dans de nombreux domaines. Le troisième chapitre enfin, les principes suprêmes (ichiryû no shidai), donne l’état d’esprit que doit être celui du shinobi ainsi que quelques préceptes généraux.
Une fois ceci lu, nous pouvons nous pencher sur les trois rouleaux que j’évoque dans mon titre à la référence douteuse, et qui renferment les secrets pratiques de l’école Kishu-ryû. Chacun de ces rouleaux est divisé en de nombreuses sous-parties qui traitent d’un savoir-faire bien précis. En effet, le Shoninki est avant tout un manuel pratique enseignant aux recrues des techniques applicables sur le terrain. Il n’y a qu’à voir certains titres : « ce qu’il faut savoir à propos des sentiers inconnus en montagne », « recueillir des renseignements dans les temples et les sanctuaires », « les moment opportuns pour l’infiltration »…
Si la tenue noire est la représentation habituelle du ninja, le Shoninki nous apprend que ces hommes de l’ombre étaient maîtres de tout type de déguisement.
Comme dit plus haut, la variété des domaines abordés par le livre est assez impressionnante. Si l’on peut s’attendre sans trop d’étonnement à croiser des connaissances sur les sciences naturelles, les subterfuges, l’infiltration et d’autres disciplines qu’on attribue souvent aux ninjas, on y verra aussi souvent des notions de psychologie qui serviront principalement à percer les personnalités à jour sans dévoiler la nôtre. Le Shoninki traite de même d’ésotérisme et de magie, ce qui n’a rien de choquant vu que le Japon du XVIIème siècle était encore profondément marqué par la religion et la superstition. On découvrira aussi un nouveau mot pour briller dans les soirées huppées, la physiognomonie, qui est « l’art de déterminer la personnalité et la destinée d’une personne en fonction de son visage » : c’était une doctrine assez influente dans le Japon médiéval et qui n’est pas sans rappeler, vite fait, la phrénologie occidentale. Enfin, Natori Masazumi n’oublie pas d’agrémenter tout cela d’une bonne couche de philosophie, histoire de préparer le mental de ses disciples mais aussi d’optimiser leur relation avec le monde qui les entoure et les autres personnes.
Dernière chose, mais non des moindres : le traducteur et commentateur Axel Mazuer n’a pas oublié de laisser de nombreuses notes de bas de page ainsi qu’à la fin de l’ouvrage, permettant aux nipponophiles convaincus d’assimiler une foule de détails sur le Japon de l’époque. Et quand je dis « une foule de détails », je parle de petits trucs bien pointus qui laissent supposer la masse de connaissances et de travail fournie par le traducteur.
Le Shoninki n’est rien de moins qu’un incontournable pour quiconque s’intéresse de près ou de loin aux shinobis. Il constitue aussi une excellente lecture pour les amoureux de la culture japonaise. Ceci est autant dû aux enseignements de Natori Masazumi qu’au boulot d’Axel Mazuer, qui permet au lecteur de saisir chaque aspect du livre.
Enfin, si vous voulez aller plus loin, je vous conseille le Traité des Cinq Roues écrit au même siècle (vers 1645) par le légendaire maître samouraï Miyamoto Musashi. La mise en parallèle de ces deux états d’esprit n’est pas dénuée d’intérêt.