[SORTIE DVD] The Boxtrolls, un petit bijou d’animation
Par son simple sujet, ce film d’animation qui sort demain en DVD ne pouvait absolument pas nous échapper.
C’est presque une histoire de famille et ce n’est pas la LDT (Ligue de Défense des Trolls) qui me détrompera. La vue des premières images et le nom de la boîte qui l’a réalisée ont fini de nous convaincre. Certaines œuvres n’ont pas le succès qu’elles méritent, il est temps de faire jaillir de l’ombre, ou plutôt de leurs boîtes, nos craintifs amis pour que brille enfin ce nom invincible et superbe : Troll ! Là n’est que la première étape vers la marche triomphale de ce grand peuple qui s’éveille et qui, dans les âges où la terre était encore jeune, a reçu la mission sacrée de secouer le joug de la bienséance guindée, la pédanterie hautaine et les bonnes manières coincées. Comme un hymne à la vie, le jour de l’avènement des Trolls sera celui du retour de l’âge d’or prophétique que chantent depuis les époques héroïques tous les bardes sur leur cithare.
Mais tout d’abord, et en attendant que se réalise l’incomparable destinée trollesque, il m’appartient de louer comme il se doit The Boxtrolls.
L’univers de Boxtrolls
En toute simplicité, l’histoire se déroule dans un univers réduit à une petite ville perchée sur un piton rocheux exiguë planté au milieu d’une campagne riante. Très vite on comprend qu’elle sera le décor de l’histoire sans que l’on ait besoin de litanies d’explications creuses. En quelques plans biens construits, cette trame est posée et c’est l’animation seule qui présente le cadre de la narration. Cela devrait plus souvent être le cas, car généralement plus on a besoin d’explications préliminaires, plus elles viennent combler les manques du langage visuel.
Nous voici donc transportés dans un cadre assez victorien dans le style, aux accents de steampunk débraillé, et dans lequel nous retrouverons un peu plus bas nombres de questions de société souvent traitées par les auteurs de cette époque. Mais ce qui compte pour nous ici c’est l’identité visuelle de ce film. Les édifices déformés dans un expressionnisme tempéré respirent davantage le pittoresque que l’inquiétant. D’ailleurs si l’usage des lumières est très présent et si une bonne partie de l’action se déroule de nuit, jamais l’œuvre ne devient aussi brutale dans ses choix que ce qu’à pu produire Burton. Les images sont plus poétiques, les couleurs plus douces et les contrastes assouplis. La nuit n’est de toute façon qu’un élément de l’histoire et les autres moments de la journée avec leurs jeux subtils de la lumière, sont aussi bien présent ; de même que la demeure souterraine des trolls à l’ambiance multicolore, sur laquelle je reviendrai.
Le Cabinet du Docteur Caligari, Robert Wiene, 1920, un bon exemple d’expressionnisme allemand
Si le lieu où se déroule l’action est réduit, il reste néanmoins très riche visuellement. Que l’on soit dans une riche demeure patricienne, dans un trou de Troll ou dans une usine désaffectée, l’ambiance change du tout au tout et souligne à chaque fois parfaitement les enjeux de l’écriture.
Tant que nous en sommes à des considérations visuelles, parlons de l’animation. Un mot la résume : fluidité. J’ai rarement vu une stop-motion aussi maîtrisée, à tel point qu’on oublie rapidement que tout cela a été mis en scène de cette manière. Et pourtant, l’aventure est plutôt remuante. A l’heure du tout numérique je trouve que cela apporte une voie divergente intéressante qui évite le glissement de l’animation dans une sphère monolithique qui risquerait la « pantouflardise ». Personnellement je trouve à cette technique une apparence plus « tangible », plus réaliste dans l’imperfection, ce qui fait que je m’y abandonne très volontiers… surtout quand l’animation est d’une telle qualité. Fini le temps des personnages stop-motion tremblotants comme des feuilles mortes sous une mordante bise automnale. Notre œil scrutateur, habitué aux merveilles digitales récentes, ne pourrait s’en accommoder et le boulot réalisé en ce sens par le studios Laika est très impressionnant.
Mais si ces questions visuelles sont importantes, elles sont peu de choses en regard du reste.
Les personnages
On pourrait ici plutôt dire « et quels personnages ! » Si l’on rencontre dans ce film certains poncifs bien connus du public, depuis le garçon « sauvage » au père irresponsable, en passant par le méchant en mal d’avancement social, il n’en reste pas moins que les auteurs se sont amusés avec ces codes pour les détourner d’une façon à la fois surprenante et en même temps très fine. J’en tiens pour preuve tout d’abord un des trois hommes de main du méchant. Il a tout les attributs de la grosse brute un peu pataude que l’on retrouve tout le temps.
Or, et c’est là que cela devient fascinant, notre montagne de barbaque se trouve doté d’une âme d’une finesse peu commune, à tel point qu’il est capable de lancer alors qu’on énonce le prétendu caractère sanguinaire des trolls : « Croyez-vous que ces trolls en boîte comprennent la dualité du Bien et du Mal ? » Quand cela tombe pour la première fois c’est très amusant et on apprécie que cela ne reste pas à l’état de fulgurance. Il est positivement plus malin que son chef, qui n’a pour lui que sa détermination et son autorité violente. Le grand maigre parmi les hommes de main est assez proche du premier. Chez lui, sa délicatesse d’esprit se manifeste surtout dans le questionnement qui naît dans sa raison à force de capturer des trolls. Il tente de se persuader du bien-fondé de sa mission, se répète qu’il ne fait que son travail, avant de déclarer qu’il « n’y croit qu’à 70% ».
Ces deux hommes sont de très bons exemples de la terrible puissance du commandement hiérarchique. En effet cela m’a fait énormément penser à l’ouvrage de Christopher Browning, Des hommes ordinaires, qui a décrit comment la Solution Finale des Nazis a souvent été mise en œuvre par de simples quidams absolument pas fanatisés qui ne faisaient que « suivre les ordres »… C’est en substance le résultat de l’expérience de Milgram (je ne vais pas m’étendre davantage sur le sujet, mais je vous invite à approfondir un peu, c’est très intéressant) et rencontrer ça dans un film d’animation est carrément fantastique.
Nature humaine
En poursuivant sur ce thème, on remarque aussi un message très clair sur l’inaction humaine face à l’oppression brutale. En Histoire on est souvent porté à se demander comment des hommes ont pu se laisser conduire, brutaliser, mépriser… par quelques-uns, sans qu’ils ne tentent rien pour secouer le joug. Comme de petits Trolls terrorisés dans leurs boîtes ils attendent que cela passe mais leur immobilisme est proche de les conduire à leur perte. Tout tient à leur capacité à résister, à s’opposer. Comme un tyran politique, le méchant assène : « On ne change pas la nature », sous-entendu que celui qui a pris l’habitude de courber le dos est marqué du sceau indélébile de la servitude, et c’est là que le rôle de la parole prend tout son sens, que les idées parviennent à secouer des montagnes et même les habitudes les plus profondément enfouies.
Je n’ai pas abordé le cas du troisième homme de main. Il est distinct des deux autres, lui, il représente le pourcentage perpétuel des imbéciles indécrottables. Pour une fois c’est le petit qui est complètement abruti. Il arriver même contraster avec le méchant principal qui, lui, pêche surtout par ambition et vanité (voir par gourmandise).
C’est en effet la structure sociale et ses injustices qui ont rendues le Chasseur aussi abject et sans pitié. Il est un produit des vices de sa société. Il n’aspire qu’à de vaines ostentations et tend toutes ses énergies à faire parti du cercle des maîtres, plutôt que d’en contester la légitimité. En miroir, le père de la jeune fille, a les mêmes travers. Il est obnubilé par sa position sociale et les jouissances qu’elle lui permet au point d’en délaisser complètement son enfant. Or c’est ici l’autre grande réflexion de l’œuvre. Après leur rencontre, la jeune fille et le héros discutent de la notion de père. Elle en relève les caractéristiques pour en arriver à cerner que le sien n’en a que le nom et aucunement le comportement… Pour de vaines gloires, de vains plaisirs, les hommes se laissent aveugler par l’ascension sociale, la puissance, au point de se perdre complètement jusqu’à l’hybris (la démesure) et l’injustice, tout cela contenu dans la scène d’achat de l’énorme fromage, paroxysme des excès d’un système injuste.
À ce monde des hommes corrompus et dévorés d’ambition, répond le petit monde des Trolls, insouciant, gai, coloré, composé d’individus égaux et humbles. C’est un peu un Hakuna Matata qui serait autre chose qu’un défouloir de l’adolescence mais bien un idéal vers quoi tendra la société des hommes vers la fin. La seule chose qui manquait aux Trolls n’était pas la responsabilité mais juste la confiance dans la possibilité d’agir. En cela c’est assez éloigné des logiques soulevées par Bolchegeek pour Le roi lion. L’idéal de société proposé ici est nettement égalitaire et propose avant tout de faire l’économie des vains ornements de l’autorité. Les dernières scènes montrent une collusion de tous dans un idéal démocratique, substitué à l’ancienne oligarchie décatie.
Les héros
Il nous faut, tout de même à évoquer le cas de la petite et du héros. Elle, aristocratique dans l’attitude, révèle une âme complexe, oscillant entre humanité bienveillante et sociopathie, quand elle exige voir « les montagnes d’ossement et les rivières de sang » de son imagination. Elle n’a jamais le comportement type des merdeuses pourries-gâtées que l’on rencontre généralement (syndrome Joffrey pour les amateurs). Le jeune héros, lui, est l’archétype de l’enfant sauvage qui va chercher son identité. Le voir grandir parmi les Trolls est un véritable enchantement. Il faut être bien insensible pour ne pas s’attendrir devant ces quelques scènes de complicité et de musique. J’ai peu abordé encore l’aspect comique de l’œuvre, mais si je n’avais qu’une scène à citer cela serait celle de son irruption dans la soirée mondaine. Il ne sait rien des usages et il va se frotter au « Monde »… Plié de rire, tout simplement. Néanmoins, au-delà du comique, les pitreries involontaires de ce jeune garçon mettent en exergue la vanité des convenances des aristocrates et leur petite sensibilité.
Parmi les personnages, il y en a d’autres qu’il faut citer absolument ; les Trolls (les meilleurs pour la fin!!!) Ces petites créatures farouches sont d’une bonhomie plaisante et d’une inventivité extraordinaire. Comme nous l’avons vu, ils sont étrangers à toute forme de violence, jusqu’à la passivité, ils sont les innocents persécutés, ceux que l’on ne connaît pas et que l’on fantasme dans le mauvais sens du terme. Ils sont les étrangers de toujours, ceux qui ne nous ressemblent pas et dont l’étrangeté seule suffit à en faire des individus suspects. Avec eux se pose la question de la différence et du rapport à l’Autre, très classique encore une fois, mais abordée d’une façon tellement subtile que cela prend un autre relief.
Attention quand on parle des trolls !
J’ai lancé ce mot de « classique » et montré que l’originalité était plutôt concentrée dans des détails d’interprétation que dans la structure du récit. Cela a suffit à faire dire à certains que le film n’était pas original, ce qui est de nos jours considéré comme presque rédhibitoire pour une œuvre. A l’heure de la frénésie extatique vers toujours davantage de nouveautés, quitte à ce qu’elles soient creuses, je trouve au contraire très intéressante une œuvre capable de se couler dans une trame sans grandes surprises tout en jouant finement sur les codes. Il vaut mieux un cadre éprouvé qui tient debout qu’un scénario qui s’auto-désamorce à force d’effets de manche bancals et de spectaculaire outrancier. Retenons cette phrase de Nicolas Poussin qui, je crois, est pleine de sagesse et même si elle parle de peinture, fonctionne quand même : « La nouveauté en peinture ne consiste pas dans un sujet jamais vu, mais dans une nouvelle et bonne disposition, ainsi le sujet de vieux et commun qu’il était devient singulier et nouveau ».
J’ai aussi lu que la première demi-heure manquait de rythme… prendre le temps et admirer semble une tâche bien compliquée de nos jours… Michael Bay a de beaux jours devant lui.
The Boxtrolls m’a tout simplement enchanté. C’est une œuvre poétique, drôle, profonde, peuplée de petits personnages très attachants, qui propose rien de moins que renverser les hiérarchies pour reconquérir notre humanité. L’animation en stop-motion est parfaite et l’ambiance (couleurs, lumière…) tout a fait agréable. Je recommande chaudement à tous de le voir et de se laisser glisser dans une histoire charmante et émouvante où les trolls apprennent la vie aux humains.
P.S. : Pendant le générique, pensez à attendre, il y a une petite scène bonus très sympathique qui propose rien de moins qu’une réflexion spinozienne !
Ce que d’autres Trolls en pensent :
Lazylumps : The Boxtrolls est une merveille. il ne faut pas passer à côté d’un tel film d’animation. Tant pour son scénario à double lecture (parents et enfants ne verront pas la même chose) que pour ses personnages riches et profonds, la qualité hallucinante des animations, son côté comique qui fait mouche, son intelligence… Bref, The Boxtrolls, méconnu du « grand public », est désormais un incontournable du Cri du Troll. Vive les Trolls en boîte !
Bolchegeek : En accord absolument total avec l’analyse de Flavius. Une perle par le studio qui, avec Coraline, s’impose comme le maître de cette animation stop-motion toujours novatrice et plus seulement une technique vieillotte pour nostalgiques. Une intelligence du propos qui se cache dans les visuels, les détails, l’écriture plutôt que dans sa structure très classique. Une première couche presque moralisante mais néanmoins juste dont la subtilité et l’intelligence passent par son exécution. Une esthétique à cent lieux des délires gothiques usés d’un Burton qui ne sait plus que s’auto-caricaturer et à mille autres de la beauté lisse en vigueur en préférant rendre beau la laideur. Espérons que sa nomination aux Oscars remettra sur le devant de la scène ce petit bijou, un des plus réussi de cette année sans Pixar à l’exception notable de la Légende de Manolo (The Book of Life).