Marianne : la frousse en cambrousse
Au Cri, comme tous critiques respectueux (ou influenceurs ratés, c’est pareil), on aime pas les séries françaises. Déjà parce que bien souvent elles puent la merde, la faute à la fameuse ménagère de moins de 50 ans, qui a apparemment de sacrés goûts de chiottes. Mais surtout, là où le bât blesse c’est lorsqu’on compare à ce qui se fait à l’étranger (États-Unis et Royaume-Uni en tête, mais on pense aussi à nos voisins espagnols), ça fait mal au cœur de voir la France en retard niveau qualität. Parce que bon, Kaamelott, Le Bureau des Légendes et Les Sauvages, ça va bien 5 minutes mais après ? Hein ?
Et bah après il reste Marianne, meilleure série au rayon horreur chez Netflix (désolé The Haunting of Hill House, je t’aimais tant). Et c’est français.
Sortie le 13 Septembre 2019 en catimini, Marianne s’est fait connaître par le bouche à oreille comme LA série qui met en PLS les Flipettes™ de tous poils, et même les Grodur™ les plus endurcis. Parce que oui, souvenez-vous, votre humble serviteur est un Grodur™, du genre à rire face aux monstres et jumpscares putassiers. La Nonne me fait marrer, je regarde l’heure devant Hérédité, et le visage de Lazylumps me laisse de marbre.
Pourtant, Marianne me terrifie. Marianne me terrifie, et je le dis alors même que j’ai regardé la série en la compagnie de mon cher coloc’, lui aussi un Grodur™, et qu’on a pourtant pour habitude de pas mal parler pour analyser films et séries quand on en mate ensemble. Et oui, malgré tout ça, Marianne me terrifie.
Bienvenue au Grolhante
Le pitch de base de toute cette histoire, c’est qu’Emma Larsimon (Victoire Du Bois), notre protagoniste, tient une séance de dédicace pour la sortie du dernier roman de sa série d’horreur pour adolescents, Lizzie Lark. Accompagnée de Camille (Lucie Boujenah), sa fidèle assistante, Emma rencontre à cette séance une amie d’enfance, Caro, qui ne tarde pas à tenir des propos incohérents et flippants à propos de sa propre mère, du passé d’Emma et de Marianne. Sauf que Marianne, c’est juste l’antagoniste principale de la série de romans d’Emma, rien de plus. Une sorcière surpuissante, terriblement cruelle et sadique, mais fictive. Le babillage foldingue de Caro est, en plus, accompagné de la révélation de scarifications bien glauques, et d’un suicide par pendaison en plein milieu de l’agence d’Emma. Ce qui avouons-le, pose tout de suite l’ambiance de bonheur et de gaieté qui transpirera tout au long de la série.
Toujours est-il que cette mésaventure (doux euphémisme) va pousser Emma à retourner dans sa ville natale d’Elden, accompagnée de Camille. Ville où se trouvent encore ses parents et ses amis d’enfance avec lesquels Emma ne parle plus. Un retour aux sources qui va donc être l’occasion de lever le voile sur le passé d’Emma, mais surtout sur le mystère Marianne, la sorcière fictive ayant apparemment pris possession du corps de Mme. Daugeron (Mireille Herbstmeyer), la maman de Caro. Quand on la voit la première fois, on se dit qu’on a affaire à une figurante du Groland. Et puis après, on est terrorisé, on se recroqueville, on s’enfonce sous son plaid, et on demande de l’aide à toutes les entités imaginables pour nous libérer du regard de cette femme.
Les actrices servent une excellente partition (dans une série française, c’est toujours à souligner), Du Bois étant particulièrement excellente dans un rôle qui demande beaucoup, constamment. Mais c’est véritablement les yeux habités par la folie de Herbstmeyer qui vous suivront pendant un long moment, même une fois la série bouclée. On savait déjà depuis Drag Me to Hell qu’une personne âgée peut être tout aussi traumatisante que deux gamines jumelles dans un couloir, mais bordel de merde, ce malaise et cette appréhension que réussit à diffuser Herbstmeyer pendant certaines scènes sont absolument ahurissants.
Marianne dans ton kouignamann
L’une des grandes forces de Marianne, c’est la façon dont la série réussit à construire sa tension de façon constante. On sait que les Américains sont doués dans le domaine, puisque la recette des fameux Dossiers Warren repose justement sur cette construction d’une tension lors des scènes, provoquant une montée d’adrénaline qui correspond à notre attente d’un jumpscare ou d’une horreur non-euclidienne. En gros, vous avez peur parce que vous vous attendez à avoir peur.
Et à ce petit jeu là, Marianne frappe très fort puisqu’on peut dire que la série a su dépasser le maître. D’habitude, la tension monte lors de certaines scènes précises, culmine avec un jumpscare avant de retomber. Dans Marianne, la tension ne retombe qu’à de très rares moments, placés opportunément pour vous permettre de respirer. Sinon, c’est bien simple, c’est chair de poule et sueurs froides de façon récurrente pour ne pas dire constante. Entre les scènes qui partent en couilles à vitesse grand V, les horreurs qui se passent dans la nuit, et les pouvoirs de Marianne qui semblent arriver à concurrencer ceux de Gandalf le Blanc (ouais elle est turbo-forte en vrai), le trouillomètre est constamment sur « Woputin il va se passer un truc ». Soit un cran avant le sursaut accompagné d’un « WOPUTAIN » surpris, et deux crans avant le silence hébété, celui là même où l’on sert fort l’accoudoir du canapé pendant que la lame glacée de la terreur vous lamine le dos. Ouais, en vrai si vous êtes sensible, allumez une petite lampe.
Bien sûr, on ne construit pas cette tension sans talent. Et là, Marianne a ce qu’il faut, particulièrement du côté de la réal, puisqu’on a le droit a de superbes plans tant au niveau de la photo que de la composition. Mais c’est surtout dans le montage et dans les mouvements de caméra, dans les plans séquences, que Marianne parvient à bâtir et maintenir le frisson. À ce compte là, les séquences rêvées (ou plutôt cauchemardées) d’Emma sont des pépites du genre, faisant lentement monter la sauce et la jauge de votre trouillomètre.
Mais Marianne est aussi une réussite dans ses moments de pause. Rares, comme je le disais plus haut, mais bienvenus pour permettre la respiration du spectateur, il s’y glisse pas mal de petits moments humoristiques. Avec ce trait d’humour pince sans rire qui marche à fond, là, juste à ce moment précis dans la scène où l’on se pose un peu. Et ça participe encore une fois d’une gestion du rythme de la narration millimétrée. Si Marianne réussit particulièrement bien quelque chose, encore une fois c’est bien ça : la gestion du rythme. C’est déjà un casse-tête pour un film de deux heures, Marianne réussit la performance d’exceller sur un marathon d’un peu moins de 8 heures. On ne se sent jamais vraiment à l’abri, l’appréhension est toujours là, mais on respire de temps en temps, on claque un petit rire en coin, et on repart dans le glapissement pitoyable quelques minutes plus tard. Magique.
Emma déconne
Bon Marianne brille donc par sa réalisation, ses acteurs (et plutôt même les actrices) et sa gestion du rythme. Mais alors, serait-on face à une série parfaite ? Française et parfaite ? Serait-ce là une série concoctée par une sorcière bienveillante venant des contrées de Toulouse où l’accent est chantant (si vous avez la réf’, veuillez appeler le standard du Cri du Troll, vous avez gagné mon respect) ?
Et bah malheureusement non. Marianne, malgré toutes ses réussites, a quand même un petit truc qu’il faut bien avoir en tête. C’est peut-être évident mais mieux vaut bien y penser en s’attaquant à la série, c’est que celle-ci ne prétend pas révolutionner le genre ou renverser complètement les codes. L’horreur est un des genres les plus codifiés, si ce n’est le plus codifié, et Marianne coche toutes les cases. Avec beaucoup de panache certes. Mais ne vous attendez pas à voir des renversements de situation ou une originalité fulgurante dans le déroulement des mésaventures d’Emma Larsimon. En quelques mots, Marianne est un récit d’horreur très classique, mais raconté de façon brillante. Voilà.
Pour une bonne surprise c’est une bonne surprise que Netflix nous a livrée là ! Entre une gestion du rythme au poil de cul, de superbes interprétations et une trouille qui ne vous quittera que quelques jours après l’extinction de l’écran, Marianne prouve que la fiction française n’est pas morte. Et ça fait du bien de se dire que la France a de quoi rivaliser avec les meilleurs, y compris dans la fiction de genre.
Du coup, si vous aimez frissonner, sursauter, vous sentir mal, et vous endormir difficilement, je ne peux que vous conseiller de vous lancer sur Marianne. Si vous êtes par contre du genre à facilement craquer ou que vous êtes plutôt sensible, je vous recommande d’éviter de vous y exposer. Je voudrais pas avoir des accidents cardiaques sur la conscience.