Culture en vrac #1 : le jeu indé Crying Suns, la série After Life et une conférence de Franck Lepage par chez nous !
Au Cri du Troll, on ne fait pas de top. Enfin, si. Mais pas tout à fait non plus. En fait, on a tellement de choses à vous présenter, et des fois si peu de temps, qu’on s’est dit qu’on pourrait tenter un format plus court, une espèce de Bazar de culture, un instantané à plusieurs mains qui brasserait tous les sujets. Et paf : les « Culture En Vrac » sont nés. Voici donc le premier d’une série qui sera un condensé de trucs qu’on a aimé, d’infos, et de petites choses dont on voulait vous parler. Alors Ennejoïlle comme disent nos amis britons !
Crying Suns
Un FTL-like, et bien plus encore
par Lazylumps
Bienvenu dans l’espace. Ici, vous êtes le clone d’un amiral légendaire qui a trouvé la mort. Amené à la vie par un des derniers robots-maman de l’humanité, vous devrez traverser l’espace pour comprendre ce qu’il est arrivé à l’empire humain qui, manifestement, s’est globalement cassé la gueule avec pertes et fracas. Quoi donc qu’est ce qui s’est passé dans c’t’espace ? C’est en quelques mots (maux ?) ce qui vous animera lors de vos parties.
Dès les premières minutes de Crying Suns, on ne peut s’empêcher de faire un parallèle tant il est immédiat et incontournable : oui, nous sommes face à un FTL like, ce jeu qui a révolutionné les jeux indé dans l’espace et a re-démocratisé le rogue-like (def wikipédia sortie de derrière les fagots pour ceux qui ne connaissent pas « Le rogue-like est un genre dont le gameplay est inspiré de Rogue, sorti sur Berkeley Unix en 1980. Traditionnellement, le joueur y explore au tour par tour un ou plusieurs souterrains générés aléatoirement, dans un univers bi-dimensionnel[…] Depuis la fin des années 2000, l’appellation rogue-like est utilisée dans un sens large pour désigner des jeux indépendants qui génèrent aléatoirement leur univers de jeu, entre autres caractéristiques qu’ils partagent avec les rogue-like au sens strict »). Donc ici aussi, chaque partie génère aléatoirement plusieurs événements pour le joueur et comme pour FTL, nous sommes à bord d’un aéronef spatial que nous allons petit à petit améliorer, armer, bichonner ; qui dispose de son équipage que nous allons lui aussi choisir et calibrer selon les compétences de chacun pour notre exploration, avec pour mission d’arriver au bout de chaque « secteur ».
Comme avec FTL, on saute de système en système et nous devons faire face à des rencontres (amicales ou inamicales) ainsi que des événements à choix multiples qui auront, évidemment, des conséquences diverses et variés.
Mais, alors que FTL met plutôt de côté un scénario pour se concentrer sur un gameplay novateur (qui a influencé noooooombre de jeux indé), Crying Suns, lui, se permet de proposer son univers conséquent, son background et son histoire, et ce par petite touches subtiles : plus on progresse dans l’aventure, plus on appréhende le drame qui s’est déroulé dans l’univers, et plus on comprend d’où l’on vient, et qui l’on était. Un joli coup, pour une histoire profonde et riche !
Le système de combat diffère aussi de FTL, et c’est tant mieux : ici, on déploie nos troupes sur un plateau et on doit gérer l’arrivée des troupes adverses selon un principe de pierre feuille ciseaux basique mais efficace : les drones butent les frégates, qui butent les chasseurs, qui butent les drones. Et tout ce petit monde peut infliger des dégâts au vaisseau mère adverse en faisant fondre sa barre de PVs. Au fur et à mesure de l’avancée, on pourra améliorer nos troupes, en disposer de plus, et ainsi augmenter grandement les stratégies d’affrontements. D’autant que nous pourrons faire feu avec les armes de notre vaisseau mère que l’on aura pris soin d’acheter, améliorer et développer durant la partie. Malin et exigeant, car la mort peut arriver vite si l’on charge tête baissée sans observer les techniques de l’adversaire.
Autre petite subtilité : les membres de l’équipage nous permettront aussi d’explorer les planètes à chaque nouveau saut spatial, et ainsi de récupérer des choses diverses et variées (ressources, hommes, matériel)… Ici, c’est le hasard et les compétences de votre équipage qui influeront sur la capacité d’une escouade à ramener moult mignonneries, ou bien à péricliter sans gloire et crever misérablement sur une planète bien trop hostile.
Alors pour conclure : allergiques du Die and retry (ce procédé qui vous oblige à crever pour comprendre comment vous améliorer et gagner) passez votre chemin. Pour tous les autres, vous allez passer quelques agréables heures sur ce jeu indé bien de chez nous ! C’est un oui au Cri du Troll.
After Life
L’humour noir sauce British
par Tobye
Comme je le dis souvent, l’automne annonce le début de la saison « plaid, tea and je-passe-mon-dimanche-devant-une-série». Pour entrer dans le thème et pour ce premier culture en vrac, j’avais envie de vous parler d’After Life, une série britannique écrite et réalisée par Ricky Gervais, disponible sur Netflix.
After Life raconte l’histoire de Tony, interprété par Ricky Gervais, qui a perdu sa femme, Lisa, à la suite d’un cancer. Ambiance. Dès lors, il perd goût à la vie et envisage le suicide, mais décide de rester encore un peu afin de « punir le monde ». Sa méthode ? Dire ce qu’il pense et faire ce qu’il veut, sans filtre avec un gros doigt levé envers la société. Sauf que Tony n’est pas totalement seul, malgré tous ses efforts. Il y a sa chienne (la raison selon lui de rester ici-bas), ses proches, ses collègues, ses nouvelles rencontres et les vidéos de Lisa. Ensemble, ils tentent à leur manière d’aider Tony à traverser son deuil.
Entre rire et sarcasme, la série aborde la question du deuil et le rapport aux autres avec beaucoup d’humanité. On retrouve l’humour caractéristique de Ricky Gervais, pour évoquer un sujet pourtant Ô combien délicat, et ça fonctionne ! Il y a tout de même un passage qui m’a laissé un peu perplexe sur le personnage de Julian. Un toxico sympathique dont l’évolution dans la série peut paraître, comme dirait l’autre : « mi-figue mi-raisin » (j’ai toujours eu une préférence pour le picrate, personnellement) ; sans pour autant altérer la justesse du scénario.
Au fil des épisodes, j’ai découvert les différents protagonistes, non sans une pointe d’appréhension de voir de vieux clichés arriver avec leurs gros sabots. Mais l’écriture des personnages est une belle surprise et on s’attache rapidement à eux. Certains sont hilarants, adorables ou d’autres sincèrement perchés. D’ailleurs, vous ne verrez plus les spectacles de marionnettes de la même façon après la série, trust me.
Outre le talentueux Ricky Gervais, on découvre une brochette appétissante d’acteurs britanniques qui forment un très bon casting. Petit pincement au cœur devant David Bradley (ou Argus Rusard pour les vrais) qui interprète le père de Tony, atteint de la maladie d’Alzheimer.
After Life est une tragi-comédie touchante qui rappelle que le monde n’est pas (si) merdique et qui mérite d’être connue. J’attends donc avec beaucoup d’intérêt la deuxième saison prévue pour le courant 2020.
L’éducation populaire par chez nous
Les conférences gesticulées de Franck Lepage
par Shal
Dans ce Culture en Vrac je vous emmène à la découverte de Franck Lepage. Déjà en préambule je pourrais annoncer que l’homme se produit sur scène et que s’il passe à côté de chez vous j’espère que ce petit mot vous convaincra d’aller le voir. Ce ne sera jamais du temps perdu. En tout cas, nous serons deux du Cri à aller le voir le 15 novembre à la Souterraine.
Sa prestation est difficilement classable : entre le récit de vie, le stand-up et une certaine forme théâtrale, Franck Lepage appelle ses objets scéniques des « conférences gesticulées », et quand on ressort d’une de ces « conférences » on s’aperçoit que l’homme est tellement attaché à la valeur des mots qu’il n’aurait surement pas pu mieux choisir pour définir ce qu’il faisait. En effet, ce n’est pas vraiment du théâtre et cela se rapproche davantage d’une conférence où il serait le seul intervenant, une sorte de standup dont le propos serait très politisé. Et « gesticulée » car mine de rien Franck Lepage est un objet scénique : il utilise l’espace et son corps pour transmettre, pour faire comprendre son propos.
Voyons le propos maintenant. Franck Lepage est attaché à l’éducation populaire, mais quand je dis attaché je devrais rajouter : viscéralement. L’homme est un ancien directeur du développement culturel à la Fédération française des maisons des jeunes et de la culture, et, au fil de son parcours, il raconte sa prise de conscience d’une éducation populaire défaillante, d’un modèle de développement culturel privilégiant l’art contemporain et ses dérives et du fait qu’il n’était plus que le relai d’éléments de langages qui visait essentiellement à faire tomber les subventions dans les missions locales. Sa première conférence s’attaque à sa tranche de vie et à ces problèmes, elle s’intitule « L’éducation populaire, Monsieur, ils n’en ont pas voulu » et attaque férocement le concept de démocratisation culturelle avec pour fil rouge l’histoire de Christiane Faure.
Je ne pourrais guère en parler sans citer la façon dont Lepage parle de sa première conférence :
C’est ce qui m’est arrivé. Et c’est l’histoire que je vais vous raconter. Quand je dis : « J’ai arrêté de croire à la culture », entendons-nous bien, c’est idiot comme phrase ! Non, j’ai arrêté de croire, pour être très précis, en cette chose qu’on appelle chez nous la « démocratisation culturelle…
C’est l’idée qu’en balançant du fumier culturel sur la tête des pauvres, ça va les faire pousser et qu’ils vont rattraper les riches ! Qu’on va les « cultiver » en somme. […]
On parle aussi de réduction des inégalités culturelles ou « d’ascension sociale » par la culture. Mais j’ai compris bêtement un jour que les riches avaient les moyens de se cultiver toujours plus vite… C’est là que j’ai arrêté de croire.
C’est bien cette façon de parler d’un propos sérieux de manière comique qui fait la force de son discours. Le propos est très marqué à gauche et s’attaque férocement au capitalisme néo-libéral mais pour l’avoir vu maintenant deux fois, avec sa première conférence mais également avec sa deuxième sur l’éducation nationale « Pourquoi n’empêcherions-nous pas les riches de s’instruire plus vite que les pauvres ? » (j’aime vraiment ses titres), je me dis que c’est un des meilleurs moments intellectuels que j’ai vécu. Cette deuxième conférence, je la trouve tellement pertinente qu’elle devrait être obligatoirement vue par toutes les personnes qui enseignent ou qui sont en contact avec le milieu pédagogique. Avec Franck Lepage, je suis passé du rire véritable, au rire jaune, en passant par le dégout ou l’approbation. Car oui dans ces conférences le rire est omniprésent. On ne reste pas insensible à ses propos sur ce que devrait être l’éducation populaire et je me retrouve aujourd’hui, quatre ans après l’avoir vu pour la première fois, à ne faire que constater les dérives du système qu’il dénonce depuis tant d’années.
Alors non, il ne s’agit pas d’aller voir Franck Lepage comme vous iriez voir du théâtre classique. La conférence d’histoire politique n’est vraiment pas loin et le propos y est solide, vérifié et argumenté. Partial certes mais terriblement bien amené et, malheureusement, terriblement réaliste. Vous sortez du lieu grandis, un peu plus alerte, avec un petit sentiment entre la révolution et l’envie de faire bouger les choses de manière positive, et, à l’heure où Zemmour et autres comparses, font des records d’audience et de ventes de livres je me dis que consacrer un mot à quelqu’un comme lui n’est vraiment pas un moment de perdu. Un défenseur d’une réelle éducation populaire et un propos profondément humaniste… revigorant ! Et comme l’homme est réellement conscient que l’éducation populaire doit toucher le plus grand nombre et être accessible sans forcément débourser un seul centime, ses conférences sont toutes disponibles gratuitement et en entier sur youtube. Mais sachez que pour aller le voir vous en aurez pour 2 euros de plus qu’une place de cinéma.